Lazare Paupert (L.P), Délégué académique aux relations européennes, internationales et à la coopération de l'académie de Paris a répondu aux questions d'Irene Daumur (I.D), Responsable de la coopération éducative au British Council France, sur les partenariats franco-britanniques et sur les pistes de collaboration futures, malgré la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne et dans un contexte de pandémie mondiale.
I.D : La coopération éducative franco-britannique connaît un tout nouveau contexte désormais. Quel est l’impact du Brexit sur les actions d’ouverture européenne et internationale dans votre académie ?
L.P : L’impact est indiscutablement fort car le Royaume-Uni est (était) la destination à la fois naturelle et proche pour tous les élèves et les étudiants recherchant une forme de mobilité ou de coopération mettant en avant la langue anglaise. J’observe toutefois qu’actuellement les échanges sont beaucoup plus impactés par la Covid-19 que par le Brexit. Si vous me permettez un trait d’humour : Merci aux Anglais de leur cadeau de départ en quittant l’Union européenne, et qui s’appelle le « variant anglais » du coronavirus !
Cela dit, dans notre cas cela n’empêche pas un renforcement de notre coopération avec l’Ecosse « The Aulde Alliance » ! ainsi qu’une nouvelle coopération avec Dublin…qui toutes deux avaient commencé avant le Brexit.
Historiquement l’académie de Paris avait une coopération privilégiée avec certains « boroughs » du grand Londres (Créteil et Versailles avec d’autres). Mais il est vrai que cette coopération n’est plus très active, en grande partie à cause du fait que nous ne parvenons plus à trouver des homologues régionaux qui puissent être nos interlocuteurs, ce qui oblige à un dialogue singulier avec chaque école.
Je note aussi de façon très concrète que le Brexit ne va pas nous empêcher de poursuivre, à la dimension régionale des trois académies d’Ile-de-France, une coopération avec le British Council en matière de formation linguistique et culturelle, avec pour objectif précisément de lutter contre les obstacles à la mobilité internationale, la maîtrise de l’anglais jouant dans ce domaine un rôle incontournable.
I.D : D’après vous, quels changements de mode opératoire peuvent être envisagés, en intégrant le positif existant, pour impulser une coopération éducative franco-britannique dans le nouveau contexte et parallèlement, quel type de réciprocité vous semble pertinente ?
L.P : Une coopération bilatérale est toujours possible pour l’avenir, bien sûr, car la demande est toujours forte du côté français. Mais justement, cela pose la question de l’équilibre et de la symétrie dans les échanges. Je crois qu’il faudra continuer d’accepter une certaine asymétrie car les jeunes Anglais apprennent désormais moins le français (concurrence de l’espagnol) et ont moins d’appétence pour des mobilités vers la France. A cet égard, attendons un peu de voir quels seront les effets du Brexit, encore trop récent...
Je note qu’il existait des programmes de bourses individuelles (Bourses Charles De Gaulle et Lefèvre) qui malheureusement n’existent plus désormais : il serait sans doute souhaitable de trouver un nouveau dispositif (comparable à ce qui existe pour l’Allemagne avec les bourses Voltaire ou Sauzay) mais en ce domaine il ne suffit pas d’avoir des idées, il faut également trouver des fonds !
Les autorités politiques britanniques ayant refusé toute nouvelle forme possible de participation au programme Erasmus+, il nous faudra repenser le cadre de notre future coopération multilatérale. De ce point de vue, nous attendons beaucoup du futur programme « Turing » annoncé par les autorités britanniques dont nous comprenons qu’il est surtout dans un premier temps consacré aux mobilités sortantes des élèves et des étudiants britanniques.
I.D : Le confinement a rendu la mobilité scolaire quasi impossible ces derniers mois et la mobilité virtuelle s’est développée. Quelle peut-être dorénavant la place du virtuel dans les relations internationales et européennes et quel équilibre peut-on espérer entre échanges présentiels et distanciels à l’avenir ?
L.P : Il est clair que la crise sanitaire que nous traversons (et dont rien n’indique qu’elle puisse se terminer rapidement) nous oblige à nous tourner de façon massive et volontaire vers le numérique et le virtuel, en lieu et place des mobilités physiques dont les bénéfices sont pourtant reconnus. Ce fut d’ailleurs là une des conséquences paradoxales de ce coup d’arrêt brutal donné aux mobilités en cours ou en préparation en mars 2020 : nous nous sommes rendu compte d’une part que le numérique et le virtuel (ah ! les joies des visioconférences…) pouvaient souvent remplacer avantageusement les échanges en présentiel, mais « en même temps » combien les interactions en direct entre les individus gardaient un caractère irremplaçable. Constat encore plus évident dans un contexte pédagogique, surtout avec de jeunes élèves (même si ceux-ci participaient déjà depuis de longues années avec succès au programme eTwinning désormais intégré à Erasmus+).
En fait, à mon sens et pour l’avenir, le défi est d’apprendre à utiliser à bon escient les possibilités du numérique (et nous avons beaucoup appris à ce sujet depuis un an) et de se préparer, si/quand la situation sera redevenue « normale », à participer à des mobilités physiques parfaitement préparées et encadrées qui représentent une plus-value réelle par rapport au travail et aux échanges « online ».
En tout état de cause, et à leur corps défendant, les jeunes élèves des écoles, des collèges et des lycées auront acquis une « digital literacy » qui ne pourra qu’enrichir leur bagage de futurs étudiants...
I.D : Pendant la crise sanitaire, le rôle social fondamental de l’éducation scolaire a été placé au-devant de la scène. Dans ce cadre-là, quels sont les défis les plus pressants pour votre académie et sur quoi souhaiteriez-vous pouvoir échanger avec vos homologues britanniques ?
L.P : Oui indiscutablement la crise sanitaire a permis de souligner et de valoriser le rôle social très positif de l’école. De ce point de vue, et à la différence des Etats-Unis et du Royaume-Uni par exemple, la France a tout fait pour garder les établissements scolaires ouverts, ce dont on peut et doit se féliciter, surtout à la lumière de ce qui se passe à l’université et qui est dramatique.
Je pense que cela nous a contraints à développer, tant du côté des enseignants que des élèves, de nouvelles pratiques d’enseignement ou de travail chez soi, des formes d’échanges et de solidarité via internet et les réseaux sociaux (qu’il ne faut pas toujours diaboliser), une attention plus empathique aux difficultés des uns et des autres, et sans doute, globalement une manière plus collaborative de fonctionner tant pour les élèves que pour les enseignants.
Mais cela exige également de nouvelles compétences, que nous avons développées tant bien que mal, et qui devront être prises en considération pour nos futures actions de formations des enseignants et des cadres. De ce point de vue, un échange d’expertises et de bonnes pratiques est tout à fait envisageable entre nos deux pays pour construire ensemble une nouvelle approche éducative et pédagogique post-Covid.
Et tout cela sans craindre la différence, les « frontières » de toute nature ne passant pas aux mêmes endroits dans nos deux systèmes éducatifs, avant comme après le bac.
I.D : Les accords éducatifs franco-britanniques ont été signés il y a plus de 70 ans par nos ministères de l’Education respectifs et doivent être renouvelés en 2021 pour une période de 4 ans. Quels engagements forts souhaitez-vous de la part de nos deux gouvernements ?
Une remarque préliminaire : bien évidemment le champ des accords éducatifs entre nos deux pays dépasse la seule langue et son apprentissage - toujours meilleur quand il est fait de contacts directs entre les locuteurs. De ce point de vue il faut réaffirmer que l’apprentissage d’une langue étrangère va bien au-delà de la dimension linguistique, sociale, de l’employabilité ou même du simple échange ou du partage d’informations. Il est nécessaire d’insister sur la dimension interculturelle, de découverte et de respect de l’autre (loin des stéréotypes et autres idées reçues), et du recul et du décentrement qu’entraîne l’immersion dans un autre univers linguistique et culturel par rapport à notre façon habituelle de vivre et de penser.
Cela étant rappelé, il ne m’appartient évidemment pas d’exprimer, de la modeste fonction que j’occupe, des souhaits sur ce que nos gouvernements respectifs doivent promouvoir ou s’engager à faire. Mais il ressort clairement de ce qui précède que je forme le vœu que ce nouvel accord puisse prendre en compte un certain nombre de réalités du XXIè siècle, des fragilités de nos systèmes économique ou de santé, du développement du numérique, du rôle indispensable du dialogue entre nos langues et nos cultures pour construire un monde toujours moins violent, moins fanatique, plus tolérant, plus ouvert - et qui sache toujours faire appel dans les moments difficiles à ce que les Anglais nous ont si bien appris, et qui s’appelle l’humour !