La Gaîté Lyrique est un bâtiment meurtri. Ce fut d’abord l’un des plus beaux théâtres de Paris, où l’on pouvait écouter les opérettes d’Offenbach et voir les Ballets Russes de Diaghilev aux livrets signés Cocteau dans les décors de Picasso. Puis ce fut un parc d’attractions, avec ses trains miniatures et son lanceur de fusée spatiale planté au cœur du troisième arrondissement. C’est maintenant une nouvelle renaissance pour la Gaîté Lyrique, un lieu unique dédié aux arts et aux cultures numériques, ainsi qu’aux musiques actuelles, et dont le coup d’envoi a été donné par le collectif britannique UVA (United Visual Artists).
Le collectif UVA est surtout reconnu pour ses performances live avec Massive Attack, U2 et The Chemical Brothers, mais aussi pour ses interventions visuelles dans les jardins du Victoria & Albert Museum ou du Turbine Hall de la Tate Modern à Londres. L’ouverture de la Gaîté Lyrique fut l’occasion pour le grand public de prendre part aux projets d’artistes créés en résidence au cours des derniers mois, dont un parcours artistique conçu par UVA qui interrogeait notre rapport à l’image, et s’intéressait tout particulièrement aux empreintes digitales générées par nos actions, proposant à chacun de nous, par l’intermédiaire d’un système de surveille élaboré, de réfléchir sur la notion d’identité.
Nous avons rencontré Jérôme Delormas, le directeur général de la Gaîté Lyrique, afin qu’il nous explique en quelques mots la mission de cette nouvelle institution, ainsi que sa manière de voir la création artistique à l’heure de la révolution numérique.
De quelle manière le bâtiment participe-t-il au projet de la Gaîté Lyrique ?
Il y a chez nous une volonté de simplifier le rapport à la technologie, l’objectif étant que l’expérience du visiteur soit vivante. La Gaîté Lyrique, c’est un lieu de vie qui rend les êtres humains plus réceptifs et plus disponibles. La Gaîté Lyrique, c’est un bâtiment intelligent conçu par Manuelle Gautrand, un bâtiment intelligent, mais pas trop. C’est un outil avec lequel on peut inventer, créer soi-même. Je crois que les nouveaux médias sont également une nouvelle manière de raconter des histoires, une nouvelle forme de narration, et le plus extraordinaire dans tout ça, c’est qu’on peut participer à l’écriture de cette histoire.
Qu’en est-il de la programmation ?
La programmation est diverse et plurielle, elle est influencée par deux grands principes. Nous souhaitions d’abord que la Gaîté Lyrique soit implantée au cœur de sa communauté, puisque la notion d’ancrage est essentielle – comprendre qui nous sommes, et comprendre aussi ceux qui nous entourent, ceux qui participent à nos projets. En même temps, il est important de s’intéresser à ce qui se passe ailleurs, d’inviter des gens des quatre coins du monde à s’exprimer. Nous vivons dans un monde « glocal », un monde globalisé plus ouvert et affranchi. La Gaîté Lyrique offre au visiteur la possibilité de découvrir des œuvres hybrides, et je revendique un certain éclectisme dans notre programmation. Nous sommes intéressés par toutes les formes d’écriture, que ce soit l’art contemporain, la danse, la musique ou le multimédia. On ne veut pas donner de réponses. On veut plutôt offrir aux artistes un espace de liberté pour créer, penser, réfléchir aux questions actuelles. Nous sommes un lieu de rassemblement, et nous tentons de ne pas laisser trop de place aux écrans afin de privilégier d’autres types d’interventions. Il est important pour nous que l’humain reste au cœur de la Gaîté Lyrique.
Ne s’agit-il pas d’une manière de démocratiser l’art ?
Quand on parle de démocratisation, j’ai l’impression qu’on sous-entend qu’il y avait quelque chose à démocratiser. Or, je pense justement que c’est le paradigme de la démocratisation même qui est bouleversé. C’est d’abord et avant tout un bouleversement social. Je trouve que c’est formidable, la mort d’une certaine idée que l’on se fait de la culture ; parce qu’à partir de là, on peut tout recommencer, on peut se battre contre les élites et l’académisme, contre tout ce qui est déjà établi et surtout contre les règles de l’art.
Comment concilier votre rôle en tant qu’institution culturelle et votre parti pris pour la nouveauté, la découverte ?
Il y a un paradoxe très fort entre l’institution culturelle que nous sommes, qui est censée être une instance de pouvoir et de validation, et notre engagement à s’ouvrir aux idées nouvelles. On espère que la Gaîté Lyrique soit un lieu de création qui sera capable de se remettre constamment en question, d’être poreux à ce qui se passe autour de lui, aux mouvements qui l’influencent, afin d’éviter de tourner en rond. Perdre le contrôle, ne pas avoir peur de prendre des risques et de sauter dans le vide : c’est une conviction profonde qu’il s’agit de la meilleure façon d’aborder notre monde actuel, et c’est un réel engagement politique.
+ Pour en savoir plus
La Gaîté Lyrique, c’est d’abord un espace culturel et un lieu de résidence pour les artistes (deux salles de concert, des espaces d’exposition, un espace jeux vidéos, une chambre sonore, un auditorium, un centre de ressources, ainsi qu’une boutique et un café), mais c’est aussi un magazine en ligne. Chaque jour, découvrez des articles complémentaires au sujet des arts et des cultures numériques, de la programmation ou des événements de la Gaîté Lyrique.