Changer les esprits : l’évolution du rôle des départements de langue dans le contexte de l’EMI (English as a Medium of Instruction/Anglais en tant que langue d'instruction)
Steve Brown et Divya Madhavan font partie d’une petite équipe interne de professeurs chargés d’aider les enseignants-chercheurs pendant toute la période de transition vers un enseignement des programmes d’études en anglais.
Les défis ?
En France, l’enseignement postscolaire et universitaire a été confronté à un défi de taille lorsqu’on lui a demandé de bouleverser des pratiques bien établies. Dans ce secteur en pleine évolution, EMI joue un rôle déterminant. Il n’y a pas de stratégie idéale pour instaurer une telle transition. Grâce à leurs moyens financiers, certains établissements d’enseignement supérieur en Europe ont pu adopter EMI en recrutant des professeurs à l’échelle internationale, en investissant dans la traduction de leurs ressources et de leur matériel en ligne et en consacrant des sommes importantes à la mobilité des étudiants et des professeurs.
D’autres établissements, en particulier ceux qui sont financées par le gouvernement, luttent pour faire reconnaître une politique générale qui préconise davantage de cours en anglais et privilégient les professeurs capables d’enseigner en anglais, mais sans nécessairement être en mesure de leur proposer des programmes d'accompagnement pour les aider. Nous avons rencontré de nombreux cas de professeurs qui avaient été recrutés parce qu’ils avaient déclaré pendant leurs entretiens de recrutement avoir déjà enseigné en anglais avec succès, une affirmation qui s’est révélée être au mieux une vue de l’esprit et au pire une invention.
Il ne servirait à rien de critiquer ce genre de dérives. Tous les départements de ressources humaines ne sont pas en mesure de recruter des universitaires experts en anglais et cela n’est d’ailleurs pas souhaitable. Des décisions telles que celles évoquées plus haut ne font que refléter l’énorme pression exercée sur les institutions pour qu’elles se conforment aux directives EMI, surtout lorsque les budgets de formation en langue ou les consignes de recrutement s’avèrent inexistants. Il ne servirait pas non plus à grand-chose de remettre en cause les impératifs internationaux qui ont mis EMI sur le devant de la scène dans notre réalité quotidienne.
L'expérience de l'Ecole Centrale Paris
L’Ecole Centrale Paris, une école d’ingénieurs extrêmement sélective, a eu la chance depuis cinq ans de développer des ressources pour encourager les solutions internes. Le défi a consisté à modifier la perception des enseignants (et oui, c’est possible !) aussi bien que celle des étudiants, de les convaincre qu’il est parfaitement légitime d’adopter EMI. Les corrections, la restructuration du discours, les plaisanteries, la phonétique et le pragmatisme, tout cela peut se faire en anglais. Nous avons longuement travaillé avec des petits groupes d'enseignants-chercheurs, en tête à tête et de manière intensive aussi bien sur des projets à court terme (un exposé pour une conférence universitaire ayant lieu la semaine suivante) que sur des projets à long terme (une préparation de deux ans pour un cours complet de physique quantique). Il a fallu encourager, accompagner, apprendre à communiquer, filmer, analyser, scénariser et … avaler d’innombrables tasses de thé. Cela a été bien plus qu’un défi. La satisfaction de voir des collègues auparavant incertains acquérir de l’assurance dans une langue étrangère et les amitiés professionnelles qui en ont résulté ont fait de cette expérience une aventure extrêmement gratifiante.
Quelles solutions ?
Ce qui pourrait vraiment aider les institutions françaises, ce serait d’explorer plus systématiquement ce qui se passe réellement dans les cours EMI. Les étudiants apprennent-ils mieux grâce à EMI ? Les professeurs sont-ils capables de conserver leur niveau d’expertise lorsqu’ils enseignent en anglais ? Donnons-nous vraiment de l’élan à la carrière de nos étudiants en leur donnant l’opportunité d’étudier en anglais dans leur propre pays ?
Il est urgent de comprendre comment et dans quelle mesure les départements de langue peuvent aider à échafauder une mise en œuvre en douceur d’EMI dans leurs institutions. Les décisionnaires doivent comprendre que ce n’est pas en cochant la case formation continue que l’on implémentera EMI - les formations d’anglais général ne sont dispensées qu’une ou deux fois par semaine et par des formateurs venant le plus souvent de l’extérieur. Il faut prendre conscience que dans tous les établissements d’enseignement supérieur, le rôle des départements de langue va bien au-delà de l’enseignement de l’anglais et les impliquer dans la politiques, la stratégie et le recrutement. Considérer EMI comme un moyen de rehausser le profil nos professeurs de langue peut largement contribuer à créer une stratégie EMI spécifique à chaque institution et à jouer un rôle notoire dans la coopération inter-départementale et inter-culturelle.
Biographies des auteurs
Divya est enseignante au Département des Langues et Cultures, Centrale-Supélec, Université Paris-Saclay. Elle dirige l'Equipe d’Accompagnement et de Support à l’Enseignement qui soutient la transition vers l'enseignement de cursus en anglais à Centrale Paris. Ses domaines de recherches actuels comprennent la pédagogie critique et l'évaluation orale. Elle est membre du comité SIG pour le développement des enseignants de IATEFL. Elle a une maîtrise en recherche pour l'éducation, ainsi qu'une maîtrise en éducation du langage et elle est également membre de la Royal Society of Arts.
A la suite d'une formation initiale à l'Institute of Education London, Steve travaille depuis de nombreuses années dans le domaine des études supérieures en France en tant qu'enseignant et gestionnaire. Après une longue période dans le management, Steve enseigne actuellement au département Langues et Cultures, CentraleSupelec, Université Paris Saclay et à l'Ecole Polytechnique, UPS. Steve est fondateur du British Parliamentary Debating en France, le format utilisé dans les Debating Unions dans le monde anglo-saxon. Il est titulaire de deux masters en sciences politiques et en politique du développement.