De Nayr Ibrahim, British Council

06 mai 2015 - 11:08

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Petr Vaclavek, Collection: Hemera, Thinkstock

‘C’est faire un cadeau inestimable à un enfant que de lui donner la chance d’apprendre à lire et à écrire dans plusieurs langues.’ 

Le multilinguisme provoque-t-il des retards de langage et des problèmes d’identité ?

Nayr Ibrahim du British Council s’attaque à quelques mythes supplémentaires à propos du multilinguisme.

Le multilinguisme provoque des retards de langage : Mythe

On pense parfois qu’élever des enfants dans un environnement bilingue occasionne des retards dans le développement du langage. C’est une idée fausse qui repose sur l’hypothèse que les compétences sous jacentes sont séparées (Separate Underlying Proficiency ou SUP). Cette théorie, à présent discréditée, part du principe que les langues sont entreposées à l’intérieur du cerveau dans des compartiments, des cases bien distinctes dont la capacité équivaut seulement à la moitié de celle du cerveau d’un monolingue. Ces compartiments auraient un espace de stockage limité  et comme le cerveau ne peut pas engranger autant d’information, il écarte les autres langues. Cette théorie a entrainé des professionnels bien intentionnés à recommander aux parents qu’ils cessent de parler l’une de leurs langues à leurs enfants pour faire de la place à la langue utilisée dans leur école ou dans leur communauté. Le plus souvent, c’est  la langue parlée à la maison, la langue maternelle, qui se retrouve éliminée !

Des décennies de recherche sur le bilinguisme et le multilinguisme ont cependant prouvé qu’il n’y a aucun lien de cause à effet entre le bilinguisme et les retards de développement du langage. Le retard de langage a d’autres origines qui n’ont aucun rapport avec le fait que l’enfant parle plus d’une langue. Ces recherches ont démontré qu’un enfant bilingue franchit les mêmes étapes linguistiques, en même temps que l’enfant monolingue. Quand aux enfants bilingues qui ont des problèmes d’ordre linguistiques, tels que la dyslexie, ils ne sont proportionnellement pas plus nombreux que les enfants monolingues souffrant de la même affection. En définitive, élever les enfants dans un milieu bilingue n’augmente ni ne diminue l’éventualité de retarder le développement du langage. N’éliminons donc pas leurs langues maternelles.  

Les enfants qui parlent plusieurs langues devraient d’abord apprendre à lire et à écrire correctement dans une seule langue : Mythe

Lorsque les enfants sont exposés à plusieurs langues, ils ont forcément accès à plusieurs formes de lecture et d’écriture. Cependant l’école ne reflète pas notre société multilingue et multiculturelle où coexistent des langues et des cultures différentes. A l’école, l’enseignement se fait dans une seule langue qui est généralement la langue du pays où vivent les enfants. Même lorsqu’une langue étrangère est enseignée, elle est considérée comme une matière scolaire et reléguée à un créneau horaire bien précis. Dans certains pays, les enfants du primaire commencent à apprendre dans une langue qu’ils ne comprennent pas.  Quoi qu’il en soit, les langues maternelles des enfants sont absentes de leur éducation. Ce sont pourtant dans ces langues là que les enfants s’expriment et se font comprendre - ce sont ces langues qui ouvrent les portes aux penseurs, aux écrivains et aux historiens à la culture d’origine de ces enfants, et les langues auxquelles s’identifient les enfants.

En réalité les enfants peuvent parfaitement apprendre à lire et à écrire dans plusieurs langues. La question qui se pose est de savoir s’ils développent leurs compétences dans ces différentes langues successivement ou simultanément. Les deux phénomènes sont possibles. Le succès qu’ont rencontré les programmes d’enseignement bilingue en immersion, au Canada par exemple, a démontré qu’apprendre à lire et à écrire d’abord dans une première langue n’est pas indispensable à l’acquisition d’une seconde langue. Au sein des ces programmes, les enfants anglophones apprennent à lire dans leur seconde langue, le français, sans aucun effet néfaste sur leur première langue, l’anglais.

En outre, une fois que les enfants ont appris à lire et à écrire dans une langue, ils apprennent une autre langue assez facilement. Dès que l’enfant a compris le concept de lecture et d’écriture, il transfère ce savoir d’une langue à l’autre. Même lorsqu’il est confronté à une difficulté supplémentaire comme par exemple un autre type d’écriture, il est capable de comparer et de différencier ces écritures. C’est faire un cadeau inestimable à un enfant que de lui donner la chance d’apprendre à lire et à écrire dans plusieurs langues. 

Le multilinguisme cause des problèmes d’identité : Mythe

On a jadis considéré que le bilinguisme ou le multilinguisme était à l’origine de certains troubles tels que l’instabilité affective, le dédoublement de personnalité, voire la schizophrénie. Ce point de vue a servi à justifier des pratiques sévères telles que de punir les enfants lorsqu’ils utilisaient leurs langues maternelles dans la cour de récréation ou lorsqu'ils demandaient à un camarade de classe de clarifier. En conséquence, beaucoup d’enfants se sont retrouvés dans une situation traumatisante où ils ont été forcés de cacher leur langue maternelle et de renoncer à une partie de leur identité. Ce choix les a peut être aidé à s’intégrer et à assimiler plus rapidement une culture étrangère mais derrière ce reflet étriqué se cache aussi un échec : celui de reconnaître et d’accepter un individu dans son entièreté, et dans ce qu’il a de complexe et de fascinant.    

Cette attitude reflète également une conception erronée de la notion d’identité. Langage et identité sont inextricablement liés. L’identité est profondément ancrée dans les mécanismes du langage et l’individu manipule le langage pour choisir, affirmer et imposer son identité. L’identité est multiple, dynamique et mouvante. Elle évolue constamment au fur et à mesure que l’individu se positionne dans ses échanges avec les autres. Le langage incarne aussi le vécu culturel et historique d’un groupe de personnes au cours des siècles. Mais par dessus tout, la langue reflète l’état mental et émotionnel interne d’un individu. 

Tout ceci est réduit à néant lorsqu’un enfant est obligé d’abandonner l’une de ses langues. Quand il utilise sa langue maternelle, que ce soit à l’écrit ou à l’oral, l’enfant puise dans un réservoir émotionnel et historique qui lui permet d’exprimer qui il est, d’où il vient et où il va. Tout enfant a le droit d’avoir accès au passé, au présent et à l’avenir enracinés dans sa langue. L’article 30 de la Convention relative aux Droits de l’Enfant stipule : « Vous avez le droit d’avoir ou de choisir votre propre culture, langue et religion. »

Au bout du compte, quand on laisse les enfants décider, ils font le choix de conserver toutes leurs langues. 

Nayr Ibrahim

British Council

Dr Nayr Ibrahim was until recently Head of Young Learners and Bilingual Sections at the British Council in Paris. She has worked for the British Council in France, Portugal, Egypt and Hong Kong. Her interest in bilingualism stems from her multilingual childhood, bringing up a trilingual son and her work with bilingual students. She has written several articles on bilingualism. She is now associate professor at Nord University in  Norway.

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