Art queer : imaginaire révolutionnaire; une rencontre au centre LGBTQIA+ de Marseille
Alors que la politique, les médias et les économies se polarisent de plus en plus dans le monde, comment les artistes et les festivals d’art queer offrent-iels des espaces de résistance et d’alternatives possibles ?
Une rencontre au centre LGBTQIA+ de Marseille dans le cadre du programme Royaume-Uni/France Spotlight sur la Culture 2024 Imaginons Ensemble.
Au centre LGBTQIA+ de Marseille la table ronde "Art queer : imaginaire révolutionnaire", a été organisée par le festival Transform! et modérée par sa directrice, Sarah Saby, avec la participation de Ruth McCarthy, Directrice artistique du festival Outburst Queer Arts Festival (Irlande du Nord), Marie Didier, Directrice du Festival de Marseille, et Conor Mitchell de The Belfast Ensemble. Sarah Bagshaw, directrice des projets et des partenariats artistiques au British Council France, également présente, rappelle le travail du British Council dans les arts. L’organisation soutient la nouvelle création et les artistes émergent·es, ainsi que les collaborations en établissant des liens entre organisations artistiques et culturelles.
Les festivals queers Transform! à Marseille, dont la 5e édition se déroulera du 18 au 24 octobre, et Outburst Queer Arts Festival, qui fête sa 18e année, ont répondu à l’appel à projet pour le Fonds Royaume-Uni/France Spotlight sur la Culture 2024 développé par le British Council France, avec une proposition d’amener The Doppler Effect pour une première en France, une pièce de danse queer de The Belfast Ensemble de 2018, dans le cadre de la programmation du Festival de Marseille.
L’art queer est-il révolutionnaire ?
La question posée à toustes les intervenant·es pour lancer la table ronde est la suivante : l’art queer est-il révolutionnaire ?
À tour de rôle, les participant·es prennent la parole et partagent leurs perspectives complémentaires et parfois divergentes.
Pour Ruth, cette question n’est pas facile à répondre. Pour elle, "queer" est un verbe qui va au-delà de l’identité et n’est pas seulement une question de sexualité ou de genre. C’est ce que l’on fait plutôt que ce que nous sommes qui est "queer". "Faire de l’art queer" signifie questionner le normatif et les dynamiques de pouvoir au-delà de la sexualité et du genre, tout en sachant que ces éléments jouent un rôle majeur dans les structures de pouvoir qui forment la société. C’est un art qui interroge et qui questionne, mais surtout, qui est dangereux : "Notre festival est un espace sûr pour des idées dangereuses".
Conor Mitchell est un compositeur d’orchestre, d’opéra et de théâtre musical, ainsi que librettiste et metteur en scène multi-récompensé. Il parle du début de sa carrière. Ayant déménagé de son Irlande du Nord natale à Londres, ses créations, plus rattachées à ses ambitions d’avancer dans l’industrie qu’à son expérience en tant que personne queer, étaient très hétéronormatives. Il était dans une sorte de "closet" professionnel qu’iel s’était imposé par peur que son expression queer ne nuise à sa carrière en tant que musicien. Sa révolution personnelle advient lorsqu’il quitte Londres pour rejoindre sa terre natale à 30 ans, affirmant une création queer authentique à son expérience sans se soucier des risques au niveau professionnel, un acte qui lui permet de créer des œuvres d’art ayant un potentiel révolutionnaire en Irlande du Nord.
Sarah Saby parle des ambitions du festival Transform!, porté par le collectif IDEM qui milite pour les droits LGBTQIA+. Le festival est un outil visant à susciter des travaux d’artistes sur les questions de genre et de sexualité en donnant des espaces d’expression et de création aux personnes LGBTQIA+, pour trouver de nouvelles idées qui questionnent et redéfinissent les rapports de pouvoir et de dominance des communautés minoritaires avec la majorité. La dimension queer des créations est un outil de changement qui peut entraîner ce qu’elle qualifie de révolution générale et permanente.
Ruth rebondit en affirmant que la création et l’imaginaire queer doivent exister dans des espaces où elles ne sont pas toujours instrumentalisées pour servir les discours de la majorité. La pensée queer a toujours été pionnière car elle a dû s’inventer et se réinventer elle-même, la société ne lui donnant aucun modèle prédéfini. Elle a donc un potentiel pour être un leader d’opinion qui change la société en questionnant les présomptions qui la dominent. L’ambition n’est donc pas nécessairement d’être inclus·e dans le "mainstream" mais d’expérimenter pour offrir une vision nouvelle et révolutionnaire de la société.
Conor Mitchell parle de The Doppler Effect de The Belfast Ensemble que le British Council a soutenu pour venir au Festival de Marseille. La pièce de danse, qui intègre des projections et de la musique orchestrale, retrace la nuit solitaire d’un·e étudiant·e en physique gay à Belfast. Elle s’inscrit dans le contexte de l’Irlande du Nord et évoque les conflits des années 90 et le processus de paix entamé en 1998, l’année où Conor quitte Belfast pour Londres. Conor veut parler à une nouvelle génération qui n’a pas grandi dans un contexte de conflit, pour leur montrer à quel point ces événements sont récents et marquent toujours la société, mais surtout que le problème de solitude queer à Belfast est toujours présent. Cette pièce affirme l’expérience queer à Belfast dans toute sa complexité comme un acte revendicateur et révolutionnaire. Partir de sa terre natale pour présenter une nouvelle version de la pièce en langue française et pour un public français a permis au créateur d’être plus franc, plus explicite et plus audacieux.
L’importance des festival queers
Ou, comme le dit Ruth, cela a permis de créer une version plus sexy du travail. Les festivals queers comme Outburst Queer Arts sont importants, car ils sont organisés par des personnes queers qui comprennent l’expérience des créateurices et qui offrent un cadre très ouvert. Le cadre dans lequel un travail artistique est développé a donc un énorme impact sur le produit final. Cette version de The Doppler Effect est la plus queer car elle a justement été conçue dans le cadre d’un partenariat entre deux festivals queers.
Marie Didier du Festival de Marseille prend la parole pour dire que c’est la responsabilité des grands festivals de s’intéresser aux nouvelles idées et langages artistiques. Pour elle, l’art peut offrir un regard différent ou inattendu sur le monde et changer les codes culturels, même s’il ne révolutionne pas forcément la société.
Ruth réagit en affirmant que, selon elle, l’art queer peut avoir un impact révolutionnaire sur la société. Elle illustre cela avec l'exemple d’un opéra satirique de Connor Mitchell, Abomination, qui a permis de changer la rhétorique homophobe de certain·e·s politicien·nes. Lorsque les artistes disposent de l’espace et des ressources nécessaires pour créer des œuvres puissantes, ils peuvent avoir un impact positif sur la société.
Sarah Bagshaw s’interroge sur ce que signifie refléter une société plus inclusive, l'une des ambitions du programme Spotlight sur la Culture du British Council auquel ce projet est lié. Elle discute des objectifs du British Council de soutenir la création contemporaine qui reflète les sociétés actuelles, y compris l'art queer qui en fait partie. Les collaborations internationales facilitées par le travail du British Council dans les arts permettent à des communautés diverses, confrontées à des défis communs, de s’associer pour découvrir de nouvelles synergies et alliances.
Sarah Saby et Marie Didier évoquent le travail entrepris par les festivals Transform! et le Festival de Marseille pour l’édition 2024, soulignant les réussites des partenariats entre grandes institutions et structures plus petites pour des projets à long terme, une tendance croissante.
Pour Ruth et Sarah, ces collaborations sont fructueuses, mais iels soulignent l’importance primordiale que les festivals queers puissent également exister de manière autonome, sur un pied d'égalité avec les autres.