À l’occasion de la sortie en salles de son dernier film Shame avec Michael Fassbender et Carey Mulligan, nous avons rencontré l’artiste et réalisateur Steve McQueen. Celui qui a remporté le Turner Prize en 1999 et la Caméra d’Or pour son premier film, Hunger, s’intéresse à l’addiction sexuelle dans Shame. Brandon, jeune cadre new-yorkais dans la trentaine, ne peut s’empêcher de suivre des inconnues dans la rue lorsqu’il entrevoit leur regard, de faire appel à des prostituées et de regarder des films pornos sans véritablement nouer de contacts humains. Un film qui témoigne d’une obsession individuelle mais aussi collective, et qui analyse de manière clinique le désir et l’amour au temps des subprimes.
Dans Hunger, vous vous intéressiez au sang, à la chair et aux blessures. Le film avait la particularité de sublimer la matière, et de faire des meurtrissures, des ecchymoses d’un corps humain quelque chose de beau. Dans Shame, il y a toujours cette obsession de la peau, mais surtout du contact entre deux corps, et votre mise en scène est froide, distante et austère. Quel était votre but en explorant le thème de l’addiction et de la sexualité avec Shame ?
Je ne souhaitais pas me concentrer sur autre chose que l’addiction dans Shame. Il n’y a que la nudité des corps, les gestes mécaniques des pulsions sexuelles. Je voulais montrer ces instincts inavouables que l’on ne peut contrôler, je voulais montrer l’absence d’émotions, le désir de dominer. À un moment, le personnage principal, Brandon, tente de faire l’amour. Il veut s’ouvrir à l’autre. Mais il n’y arrive pas, et il se referme brutalement. C’est la nature du personnage. Il agit de même avec sa sœur, qui surgit dans sa vie et ébranle son monde de certitudes, lui rappelant son passé, le confrontant à des aspects sombres de sa vie dont il ne veut pas avouer l’existence.
Le silence dans vos films est très important – aussi bien dans le cas de vos premiers films en noir et blanc que dans vos œuvres cinématographiques récentes. Il se passe près de dix minutes avant qu’il y ait un premier dialogue dans Shame.
Oui, les gens parlent beaucoup dans la vie en général et dans les films, mais la plupart du temps, on ne dit pas grand-chose, rien qui en vaille réellement la peine. On essaie de meubler le silence et d’occuper le temps. Brandon ne parle pas beaucoup, il est incapable d’exprimer ses émotions. Le silence permet d’entrevoir le trouble qui l’habite. Tandis que sa sœur explose, on assiste à l’implosion de Brandon.
Shame a été tourné à New York. Pourquoi avoir choisi l’Amérique comme décor pour votre dernier film ?
C’est lors d’une conversation avec Abi Morgan, la coscénariste, que l’idée de Shame est née. Nous étions sur Internet, et nous nous interrogions sur la manière dont les jeunes ont accès à la pornographie aujourd’hui, et sur leur rapport à la sexualité. Quand j’étais enfant, une simple publicité pour de la lingerie féminine pouvait nous faire rêver. Maintenant, les jeunes découvrent la sexualité d’une manière très différente, en une fraction de secondes ils peuvent avoir accès à des films explicites. Nous souhaitions faire le film à Londres, mais personne ne voulait nous parler. Je cherchais un expert sur le sujet, et il s’est avéré que l’un d’entre eux habitait aux États-Unis. Nous sommes allés le rencontrer, et immédiatement, nous avons compris que New York était le lieu parfait pour le film.
Quelle est la différence entre votre travail en tant qu’artiste et vos films en tant que réalisateur ?
Je ne crois pas qu’il y en ait une. Le cinéma permet de raconter une histoire, d’imposer une trame narrative pour explorer certaines questions. Mes films s’interrogent sur les mêmes thèmes que mon travail en tant qu’artiste, ils prennent simplement une forme différente.
Qu’est-ce que le Turner Prize a représenté pour vous ? Quel est votre avis sur le monde de l’art aujourd’hui, et comment situez-vous votre travail au sein de ce monde ?
La reconnaissance est très importante, parce que ça veut dire que ce que vous faites signifie quelque chose. C’est encourageant, et ça vous permet d’aller encore plus loin. Je n’ai pas d’opinion sur le monde de l’art actuel. On dit que je fais de l’art politique, je m’en fous. Je crois que tout est politique. Une tasse de thé peut être politique. Je fais de l’art parce que j’ai quelque chose à dire.