Personne ne s’est vraiment remis de la claque qu’a été Hunger, le premier film de l’artiste britannique Steve McQueen, lauréat du Turner Prize et représentant du Royaume-Uni à la 53e Biennale de Venise en 2009. Le film, lauréat de la Caméra d’Or à Cannes où Hunger a été présenté dans la section Un certain regard, portait sur une grève de la faim entamée par des séparatistes de l’Armée républicaine irlandaise provisoire (PIRA) dans la prison de Maze en Irlande du Nord afin d’obtenir du gouvernement britannique une reconnaissance de leur statut politique. Salué par la critique, Hunger a permis à Steve McQueen d’obtenir un BAFTA Award spécial en 2009.
Cette année, il présentait Shame, son nouveau long métrage, en compétition à la Mostra de Venise. Shame met encore une fois en scène l’acteur Michael Fassbender (lauréat de la Coupe Volpi pour la meilleure interprétation masculine) dans le rôle de Brandon, jeune trentenaire souffrant d’une addiction au sexe et qui multiplie les expériences afin de combler le manque. Le puissant cadre new-yorkais passe ainsi son temps à suivre des inconnues dans la rue lorsqu’il entrevoit leur regard, fait appel à des prostituées et regarde des films pornos sans véritablement nouer de contacts humains. On retrouve l’esthétique glacée de Steve McQueen, ses images troubles qui ressemblent à des tableaux de chair. « J’aime faire des films dans lesquels les gens ont le sentiment de pouvoir pratiquement prendre du sable dans leurs mains et le frotter dans leurs paumes, déclarait Steve McQueen. En même temps je veux qu’un film soit comme un morceau de savon humide. Vous devez bouger physiquement et ajuster votre position en fonction du film pour qu’il vous dirige et non l’inverse. »
Le sable devient la peau, le morceau de savon humide n’est autre que ces scènes d’actes sexuels filmés de manière crue et détachée, les corps s’enchaînant de manière clinique. On se rappellera avec un certain malaise de l’élégance avec laquelle Steve McQueen parvient à montrer l’horreur : dans Hunger, c’était la saleté, les excréments et la matière ; dans Shame, c’est la brutalité du désir et l’impossibilité de surmonter les pulsions de sexe et de mort. « La honte, écrivait Milan Kundera dans L’immortalité, n’a pas pour fondement une faute que nous aurions commise, mais l’humiliation que nous éprouvons à être ce que nous sommes sans l’avoir choisi, et la sensation insupportable que cette humiliation est visible de partout. » Steve McQueen semble avoir choisi cette voie, celle de montrer, jusqu’à l’insoutenable, la douleur de l’humiliation d’être soi.