En 2008, Mathieu Copeland présentait à la Kunst Halle Sankt Gallen puis au Centre d’art contemporain de la Ferme du Buisson, Une Exposition Chorégraphiée. Composée exclusivement de mouvements, l’exposition rassemblait les partitions de huit artistes confiées à l’interprétation de trois danseurs et invitait le spectateur à s’ouvrir à la dématérialisation de l’œuvre et à faire l’expérience d’une temporalité renouvelée de l’exposition.
Revenant sur des notions qui lui sont particulièrement chères – partition, espace, temps, corps et mémoire – Mathieu Copeland publie aujourd’hui le livre Chorégraphier l’exposition. Rassemblant plus d’une trentaine d’artistes plasticiens, chorégraphes, musiciens, cinéastes, théoriciens et commissaires d’expositions internationaux, il pose un jalon dans le parcours du commissaire d’exposition britannique. Pour son lancement, Mathieu Copeland a proposé de déployer les réflexions développées dans le livre le temps d’un festival, le 30 novembre 2013 : Chorégraphier l’exposition.
D’une durée de douze heures, ce festival était composé d’une riche programmation de tables-rondes – espaces discursifs et d’expérimentation qui proposaient de revenir sur l’ensemble des propositions du festival –, d’« œuvres du temps » et de films des cinéastes d’avant-garde Phill Niblock, Kenneth Anger et Amy Greenfield. Marqueur temporel du festival, le film JG Reads de Rirkrit Tiravanija, dans lequel le poète John Giorno s’adonne pendant dix heures à la lecture de l’ensemble de ses écrits, interrogeait l’attention continue du spectateur de film.
Inaugurant le festival, une première table-ronde rassemblait Kenneth Goldsmith et Franck Leibovici autour de la notion de « temps ». Les deux poètes et artistes ont discuté de l’écriture comme forme d’œuvre qui se déploie dans le temps, propice à de multiples transformations. À l’occasion du festival, leurs écrits sont devenus les partitions de deux des œuvres du temps qu’interprétaient sur scène Grégory Guilbert, Stève Paulet et Virginie Vaillant. Ces œuvres du temps offraient une variété de propositions qui suscitaient chaque fois une nouvelle temporalité : l’improvisation qui caractérisait certaines d’entre elles, impliquait par exemple une durée aléatoire. Elles déployaient également un ensemble de mouvements, de déplacements, d’expérimentations vocales, de manières de lire et de s’adresser qui interrogeaient tout autant la chorégraphie, la voix, le texte.
De la programmation présentée sur scène, on mentionnera les quelques storyboard de Franck Leibovici qui revenaient en prologue à chacune des œuvres du temps, telle une ritournelle. Working to rule de Tim Etchells, qui inaugurait et clôturait la programmation, prenait la forme de déplacements silencieux, improvisés à partir d’une partition. Dans To Wave de Myriam Van Imschoot, ce sont les spectateurs-lecteurs qui ont donné à l’œuvre sa temporalité. Mais c’est sans doute dans un moment plus intime, lors de la lecture des entretiens entre Jérôme Bel et Boris Charmatz, que l’épreuve de la durée s’est faite sentir. Le rythme fut retrouvé dès le lancement des Timed Texts de Tim Etchells, œuvre qui synthétisait les thématiques du festival : au fil d’une improvisation, les interprètes devenaient tour à tour maîtres du temps, danseurs et conteurs. Dans la soirée, les spectateurs ont retrouvé une temporalité de la performance plus habituelle face à Fidget de Kenneth Goldsmith et TKLP edit 4 de Title TK (Alan Licht, Cory Arcangel, Howie Chen), pour lesquelles les interprètes ont suivi minutieusement les partitions.
Les œuvres du temps s’enchainaient en continue et offraient la possibilité aux spectateur d’aller et venir à leur gré. Elles interrogeaient ainsi le temps que ceux-ci accordent aux œuvres d’art. Dans les différents lieux, ils ont eux-mêmes fait partie d’une chorégraphie de gestes et de déplacements, fait l’épreuve d’une temporalité étirée : du début à la fin de la journée, les espaces sont restés en mouvement.
Ce festival fut pour beaucoup l’expérience du temps de la reprise : voir et revoir les interprètes dans différents rôles. Restent en mémoire des récits, des paroles transmises, des brides de sons et des réflexions philosophiques. Le décloisonnent des pratiques artistiques a ici ouvert de nouvelles interrogations à la fois pratiques et théoriques sur l’espace-temps de l’œuvre.
Pauline Lisowski est Étudiante en Master 1 Esthétique à l’Université Paris Panthéon-Sorbonne. Elle est également rédactrice du Blog Le Corridor.